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Photo © Jean-Paul Loyer pour LBP AM - De gauche à droite : Paul-François Fournier (Bpifrance) , Lucie Finet (Mission French Tech), Elie Girard (Alice & Bob), Georges-Olivier Reymond (Pasqal) et l'animateur de la table ronde Grégoire Favet (BSmart 4Change).
A l’occasion des « Trophées de l’innovation », le 12 novembre, LBP AM donnait la parole à quatre personnalités qui ont partagé leur vision de la révolution quantique. (Re)Découvrons le calcul quantique – qui exploite les capacités ultimes de la matière moléculaire, pour réaliser des opérations massives de traitement de données – et toutes les potentialités industrielles, économiques, offertes par ses applications.
Merci à Lucie Finet, directrice adjointe de La mission French Tech, Elie Girard, président exécutif d’Alice & Bob, Georges-Olivier Reymond, co-fondateur et responsable des alliances stratégiques de Pasqal et Paul-François Fournier, directeur exécutif en charge de la direction innovation de Bpifrance.
Georges-Olivier Reymond : L’ordinateur quantique est un des trois piliers du calcul de haute performance. Historiquement, la première innovation est l’essor du processeur ou CPU1, développé sur la base d’algorithmes depuis les années 70 ; la deuxième correspond à l’apparition récente des modèles d’IA, en particulier les LLM2 fonctionnant sur d’autres types de processeurs, les GPU3; aujourd’hui le calcul quantique, fondé sur des algorithmes et des processeurs quantiques, est complémentaire de l’IA : il permet d’améliorer les modèles d’entraînement, réduisant ainsi les temps d’apprentissage de l’IA, de générer des données synthétiques et de détecter des corrélations que les GPU n’identifient pas. Le quantique va donc décupler les possibilités de l’IA.
Elie Girard : La fiabilité des calculs est un enjeu essentiel, les processeurs quantiques générant encore beaucoup trop d’erreurs, de l’ordre de 1 % sur les opérations élémentaires. Depuis 18 mois, toute l’industrie quantique concentre ses efforts sur la correction de ces erreurs. On estime qu’à 1 erreur sur 1 million d’opérations, l’utilisation du calcul est suffisamment fiable pour permettre des cas d’usage utiles. Selon nous, cet objectif est raisonnablement atteignable autour de 2030, grâce à l’avènement d’une puce dont la capacité est de 100 qubits logiques, c’est-à-dire équivalent à 100 processeurs « parfaits ».
Georges-Olivier Reymond : Prenons l’exemple du secteur énergétique : grâce à un ordinateur quantique, on peut mieux comprendre le vieillissement des matériaux dans un réacteur nucléaire, améliorer la distribution d’électricité dans un contexte de mix énergétique de plus en plus complexe ou trouver de nouveaux matériaux pour les batteries.
Elie Girard : Toutes les industries vont être touchées par l’impact des avancées quantiques,
du secteur financier à la logistique, en passant par la chimie. L’apport du calcul quantique est éminent partout où il y a des besoins de simulation moléculaire. On peut anticiper trois types d’usages dans les années à venir. Premièrement, les simulations de matière condensée de chimie. Le quantique vient révolutionner profondément les processus catalytiques des industries : c’est une innovation de rupture, là où les procédés avaient assez peu évolué depuis la fin du 19e siècle. Ensuite, le calcul quantique devrait apporter des innovations dans la cryptographie4, puis dans l’optimisation des chaines de valeur pour l’ensemble des industries.
Lucie Finet : Absolument et c’est une fierté : la France est dans le top 3 mondial. Nous avons su cultiver, depuis très longtemps, une excellence académique reconnue dans le monde entier. Nous avons une filière compétitive sur toute la chaîne de valeur du calcul, depuis le hardware5 et les technologies utiles à la fabrication d’ordinateurs quantiques, jusqu’à l’applicatif. C’est un avantage rare permettant à la France de peser 20 % des parts de marché mondiales, à travers une quarantaine de start-up.
Mais nous avons aussi de nouveaux défis devant nous : accélérer encore davantage sur le développement des logiciels, pour une diffusion plus rapide à des cas d’usage et la transmission de ces innovations à l’économie. L’autre enjeu est de conserver nos talents, très prisés par la concurrence.
Paul-François Fournier : La puissance publique a apporté son écot avec des outils et des programmes d’investissement, comme « France 2030 ». On voit aussi que sur les technologies de rupture, des entreprises françaises ont réussi des levées de capitaux de 100 à 150 millions d’euros, ce qui illustre les progrès parcourus par l’écosystème du capital-risque.
Pour autant, on atteint déjà certaines limites et il faudra plus de capitaux privés, provenant par exemple des dispositifs d’épargne retraite et d’assurance-vie en France ou d’investissements paneuropéens, pour financer la filière. Ces moyens sont essentiels afin de faciliter le passage à l’échelle de nos start-up.
Elie Girard : Les cas d’usage imposent une souveraineté stratégique. Dans le secteur civil, les applications quantiques vont générer d’importantes sources de revenus, dont on estime l’impact sur le PIB mondial à 1 000 milliards de dollars à l’horizon 2033-2035. L’enjeu est de s’assurer que les entreprises françaises et européennes bénéficient de ces retombées économiques. Et dans le domaine militaire, l’innovation quantique est au cœur des développements en matière de cryptographie, de détection de longue portée sous-marine ou, encore, de capacités de missiles hypersoniques. Pour être parfaitement autonomes, nous devrons être capables de sourcer l’intégralité de la chaîne de valeur quantique à l’échelle des entreprises européennes.
1- Composant électronique qui constitue l'unité centrale de traitement d'un serveur.
2- Modèles de langage fondés sur des systèmes d’IA, conçus pour comprendre et générer des textes.
3- Unité de traitement graphique, sous forme de puce électronique, permettant le calcul et l’affichage d’images.
4- Processus de chiffrage et de codage des messages afin d’en assurer la sécurité.
5- Substrat ou matériel entrant dans la composition d’un ordinateur.