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Les anticipations sur la trajectoire des politiques monétaires restent au centre du débat sur les marchés. Néanmoins, il est maintenant presque acquis que la BCE va agir avant la Fed, en baissant ses taux directeurs en juin. Pour la Fed, la baisse des taux devrait être plus tardive. Nous continuons à en attendre deux dès cette année. Mais, les récents commentaires des membres du comité de politique monétaire sont très prudents. R. Bostic et C. Waller pensent que plus de temps sera nécessaire avant d’agir. La probabilité d’un assouplissement moindre existe.
Les taux à long terme américains se sont ajustés aux anticipations de baisses de taux à venir, mais semblent aussi intégrer, plus récemment, la possibilité d’un ralentissement de la croissance. En effet, malgré les anticipations de baisses des taux directeurs bien moins importantes que prévu en 2024 par rapport aux attentes très agressives de début d’année, les déclarations de banquiers centraux indiquant que pour eux des baisses des taux devraient toute de même intervenir au cours de l’année à venir, ont sûrement contribué à la baisse des taux nominaux depuis début mai. Néanmoins, cette baisse semble aussi refléter un ajustement à la baisse graduel des perspectives de croissance de l’économie américaine.
Ainsi, si on décompose de manière simple le taux à 10 ans américain entre sa composante liée aux anticipations d’inflation et sa partie réelle, on conste que c’est bien cette dernière qui a contribué le plus fortement à l’ajustement des taux longs récemment.
Evidemment, cette décomposition est un peu simpliste, car dans les taux longs, on retrouve aussi une prime de terme, qui devrait traduire les incertitudes liées à la détention d’une obligation sur une période longue. Néanmoins, les calculs de cette prime montrent qu’elle est revenue presque nulle. D’où le fait de considérer que ce sont bien les anticipations de croissance qui se sont ajustées à la baisse. Cette anticipation devrait refléter donc le taux d’équilibre du taux réel neutre à long terme.
Fig.1 Taux longs américains : la dernière baisse des taux longs a été dominée
par un recul du taux réel, cohérent avec une tendance à la décélération de l’économie
Comparé à l’expérience de la période des plus des 15 dernières années, le taux réel actuel, toujours supérieur à 2%, reste bien au-dessus de ce que nous avons connu. Selon nous, le taux réel restera plus élevé qu'à l’époque qui a suivi la crise financière de 2008-2009, néanmoins, il devrait encore s’ajuster à la baisse.
Toutefois, à très court terme, compte tenu de la très bonne performance de l’économie américaine, il risque de rester plus élevé, tant que des signes de ralentissement plus nets de la croissance n’apparaissent pas.
Il se trouve tout de même que certains signes allant dans ce sens d’un refroidissement de l’économie font jours. On l’a vu avec les enquêtes ISM (services et manufacturier) pour le mois d’avril, ou dans les chiffres des ventes au détail, qui semblaient indiquer une « pause » dans l’appétit de consommation.
De fait, une fois n’est pas coutume, les chiffres économiques outre-Atlantique ressortent en dessous des attentes depuis le mois de mai et ceci pour la première fois depuis plus d’un an.
Evidemment, on a déjà vu des périodes similaires depuis la reprise post-Covid, pour voir assez vite l’économie rebondir. Mais cette fois-ci, certains des soutiens des années passées qui pourraient nourrir un nouveau rebond se dissipent. L’épargne accumulée par les ménages ou la force de l’impulsion budgétaire semblent bien se réduire, même si pas complétement. Reste que malgré le maintien de taux directeurs élevés, les conditions financières aux Etats-Unis se sont bien assouplies depuis le début d’année ce qui est un soutien à la croissance.
Fig.2 Surprises : les données économiques en zone euro restent meilleures que prévues,
tandis qu’elles ressortent plus négativement aux Etats-Unis
Il est certes encore difficile à dire si ce seront les éléments de soutien à la croissance ou ceux qui vont dans le sens d’un ralentissement qui vont l’emporter, mais le maintien de taux directeurs encore élevés du fait d’une inflation qui sera lente à converger vers 2%, nous pousse à croire qu’un ralentissement aura bien lieu, d’autant plus si la contribution à la croissance de la dépense publique se réduit comme nous l’anticipons.
Soutenant l’idée d’un ralentissement, nous avons eu la publication de l’indicateur avancé du Conference Board pour le mois d’avril. Celui-ci a chuté plus que prévu sur le mois, mais en glissement annuel, sa chute s’est légèrement modérée par rapport au mois précédent. Il reste néanmoins toujours en territoire très négatif, suggérant que la croissance devrait ralentir.
Evidemment d’aucuns penseront que cet indicateur a perdu de sa pertinence, car il anticipait une récession en 2023, et celle-ci n’a jamais eu lieu. Néanmoins, il nous semble que la période très particulière que nous avons vécue l’année dernière, avec notamment une impulsion budgétaire qui a surpris, explique un peu le fait que pour la première fois sur plusieurs décennies, l’indication de tendance de cet indice ait été fausse.
On peut encore lui donner une « seconde » chance. D’autant plus que les variables qui intègrent cet indicateur avancé restent plus que pertinentes.
Fig.3 Etats-Unis : l’indicateur avancé du Conference Board reste en territoire très négatif
et est cohérent avec un ralentissement graduel de l’économie américaine
Nous justifions toujours notre prévision de deux baisses des taux par le fait que l’économie américaine va ralentir à partir du 2T24. Ceci sera en cohérence avec le double mandat de la Fed qui cherche à maintenir le plein-emploi tout en assurant une inflation proche de sa cible.
L’inflation va, d’après nous, converger lentement vers la cible, mais ne le fera que si la croissance décélère.