Italie : un système bancaire à deux vitesses malgré la reprise macroéconomique

TODO 25.04.2018
Italie : un système bancaire à deux vitesses malgré la reprise macroéconomique

Quelle amélioration pour l’économie italienne depuis la Dépression, lorsque les investisseurs spéculaient sur une future intervention du FMI ! Mais désormais, la vraie question est la suivante : quelle proportion de cette embellie est purement cyclique, donc susceptible de se détériorer à nouveau en cas de mauvaise conjoncture, et quelle part est structurelle, donc capable de résister à une crise ?

La principale préoccupation porte évidemment sur le poids énorme de la dette publique, qui s’élève à 132 % du PIB. En ce qui concerne le déficit, des améliorations structurelles sont effectivement à noter, bien qu’elles ne soient pas exceptionnelles : d'après les estimations de l’OCDE, le déficit corrigé des variations cycliques a chuté de 3,3 % en 2008 à 1,0 % l’année dernière. Cela a toutefois suffi à faire baisser le ratio dette/PIB, aussi lentement soit-il.

La question est maintenant la suivante : dans quelle mesure cette situation est-elle stable ?

La plupart des observateurs craignent une hausse des rendements qui affecterait le niveau du service de la dette. Si cela semble logique, nous pensons que, compte tenu du déficit et de la croissance actuels, l’Italie est en mesure de stabiliser son ratio dette publique/PIB avec des taux d’intérêts à 3,1 %, alors que le rendement à 10 ans soit aujourd’hui de 1,8 %. Il convient également de noter que la duration de la dette italienne a été prolongée. Avec un ratio dette/PIB à 132 %, une augmentation des rendements de 1 point de pourcentage (ppt) devrait théoriquement entraîner une hausse de 1,32 % du service de la dette. Mais dans le monde réel, seule une petite partie de la dette étant refinancée chaque année, l’impact mettrait du temps à se répercuter : le service de la dette n'augmenterait que de 0,08 % après un an, de 0,21 % après deux ans et de seulement 0,35 % après trois ans.

Le véritable problème, d'après notre modèle, réside dans la croissance. L’Italie nécessite une croissance nominale de 1,6 % pour assurer la viabilité de ses finances publiques et stabiliser son ratio dette/PIB, alors que l’estimation de l’OCDE pour 2017 est de 1,9 %. En cas de chute de 1 ppt du taux de croissance, le ratio dette/PIB grimperait à nouveau de manière exponentielle.

En bref, les finances publiques se sont suffisamment améliorées pour que l’Italie soit, dans une large mesure, capable de résister aux variations de taux d’intérêt, mais clairement pas à une récession économique.

Si les déséquilibres intérieurs, c’est-à-dire le déficit public, ont fait l’objet de nombreux commentaires, les équilibres extérieurs se sont améliorés, la balance courante passant d’un déficit de 3,5 % en 2011 à un solde positif de presque 3 % récemment. Il s'agit là d’un élément fondamental, car cela signifie que l’Italie rembourse sa dette extérieure et ne dépend pas d’investisseurs étrangers. Cela faisait des décennies que l’on n'avait pas observé cette source de stabilité en Italie. Que s’est-il passé ? La balance commerciale italienne a suivi le même mouvement, ce qui explique la majeure partie de l’amélioration : d'un déficit de 2 % en 2010 à un excédent stable de 3 % l’année dernière. Bien que la compétitivité de l’Italie et ses coûts unitaires de main-d’oeuvre supposément élevés soient au coeur d'un vaste débat, il est intéressant de noter que, depuis 2016, les volumes d’exportation italiens ont légèrement distancé ceux de la zone Euro de 0,2 %, tandis que le prix de leurs exportations a augmenté 2,6 % plus vite sur cette période. Cela signifie que l’Italie a gagné des parts de marché tout en augmentant ses prix de vente. Il s'agit d'un schéma contre-intuitif, qui constitue habituellement un signe indéniable que l’Italie est montée en gamme.

En conclusion, l’Italie est frappée par un certain nombre de problématiques bien connues : faible croissance de la productivité, fort taux de chômage, secteur public massif et inefficace, etc. Néanmoins, des améliorations structurelles indiscutables ont été apportées en matière de déséquilibres intérieurs comme extérieurs.

Enfin, la politique ajoute une dose d’incertitude. On a coutume de dire que la politique italienne est divertissante, à défaut d’être pertinente. Les temps ont changé. Nous espérons que le couple franco-allemand soutiendra les réformes européennes nécessaires. Toutefois, à l’heure où le vote anti-européen pourrait entraîner la formation d’un gouvernement eurosceptique, le résultat des élections italiennes réprimera toute idée de partage des risques (pensez, par exemple, à un fonds commun européen de garantie des dépôts, fondamental pour parachever l’union bancaire). Tout cela pointe vers un résultat binaire : un gouvernement italien progressif ouvrirait la voie à davantage d’intégration européenne et probablement à un nouveau déclin des primes de risque, en particulier pour les obligations souveraines ; au contraire, un gouvernement plus « anti-establishment » (à défaut d’un meilleur terme) pourrait avoir des conséquences plus défavorables, les marchés risquant de commencer à s’inquiéter des terribles effets que pourrait avoir une absence de filet de sécurité pour l’Italie pendant la prochaine récession. La politique italienne n’est pas à négliger !

Point d’inflexion pour les créances douteuses

Dans ce contexte, nous sommes optimistes en ce qui concerne la solvabilité des grandes banques italiennes. Notre opinion repose sur l’environnement macroéconomique intérieur plus constructif, la robustesse des PME et du secteur privé ainsi que la réduction du risque systémique dans le système bancaire.

Il convient de noter que le taux de formation de nouvelles créances douteuses a désormais atteint son niveau d'avant la crise, comme le soulignent des données récentes de la Banque d’Italie. Cette tendance suggère qu’après une période prolongée de stress économique considérable, le secteur bancaire italien a à présent atteint un moment charnière. Ceci est cohérent avec les données commerciales susmentionnées, qui indiquaient une montée en gamme de l’Italie. Au niveau microéconomique, cela pourrait être lié au fait que les PME italiennes les moins performantes ont disparu, selon un procédé darwinien où seules les entreprises les plus rentables survivent.

S’élevant toujours à plus de 260 milliards d’euros net fin 2017, les créances douteuses demeurent un frein pour le système bancaire italien et l’économie dans son ensemble, car elles exigent davantage de provisionnement et limitent la rentabilité des banques et, par conséquent, leur solvabilité. Le problème des créances douteuses est cependant plus prégnant pour les banques de second rang, alors qu’à notre avis, les grands groupes bancaires italiens semblent avoir surmonté cet obstacle. Cela s’explique par la rentabilité supérieure et plus diversifiée, ainsi qu’au meilleur accès aux marchés des actions des grandes banques du pays, qui leur permettraient de plus facilement absorber l’impact de la dépréciation des expositions problématiques – jusqu’au niveau considérablement bas auquel les prêts compromis sont actuellement vendus en Italie. Les mesures mises en oeuvre par le gouvernement italien pour consolider les banques en difficulté ont aidé à stabiliser le secteur, et nous considérons à présent que le risque systémique lié au secteur bancaire italien a sensiblement diminué.

Par contraste, les banques italiennes de second rang présentent une rentabilité et des niveaux de provisionnement plus modérés. A cela s’ajoutent une marge de manoeuvre plus limitée du gouvernement pour soutenir son système bancaire dans le cadre du dispositif d’aides d’État de l’UE, actualisé en 2014, ainsi que des finances publiques mises à rude épreuve, empêchant par là même le gouvernement italien d'apporter un vaste soutien comparable à ce qu’ont mis en place l’Espagne ou l’Irlande avec, respectivement, la SAREB et la NAMA. Plus récemment, le mécanisme européen de surveillance unique (MSU – le superviseur des principaux établissements de crédit en zone Euro) a également accru la pression sur le secteur bancaire italien. Il souhaite en effet que les banques augmentent leur couverture des créances douteuses afin de renforcer la résilience du système bancaire européen face aux futures crises financières.

Considérés conjointement, ces facteurs expliquent pourquoi les banques italiennes de second rang subissent encore une pression considérable qui fait contrepoids à l’amélioration macroéconomique. Cela peut également pousser le secteur vers plus de consolidation, ce que nous considérerions comme une évolution positive.

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