Les dernières données laissent peu de marges à la BCE


Décryptages marchés 25.10.2023
BCE
  • Les taux d’intérêts refluent légèrement depuis le début de la semaine après que les taux 10 ans américains aient dépassé les 5% en cours de séance lundi pour la première fois depuis 2007. Cela dit, les taux longs restent très élevés alors que l’économie montre des signes de faiblesse en dehors des Etats-Unis, en particulier en Europe. La légère détente des taux et l’absence de mauvaises nouvelles supplémentaires en provenance du Moyen-Orient permettent une stabilisation des actifs risqués, mais les incertitudes macro et micro limitent le potentiel de rebond.

  • Le PMI de la Zone Euro a repris sa baisse en octobre et indique une accentuation de la contraction du PIB au début du T4. Dans le même temps, la confiance des consommateurs reste faible en octobre après deux fortes baisses cet été, même si elle reste au-dessus de son niveau lors des précédentes récessions. Nous continuons de penser que l’activité de la Zone Euro va stagner pendant plusieurs trimestres, mais les dernières données indiquent un risque de récession significatif.

  • L'enquête sur les prêts bancaires de la Zone Euro montre que l’offre de crédit continue de se resserrer nettement dans la seconde partie de l’année et, surtout, que la demande de crédit pour les entreprises et pour l’immobilier se contracte très fortement depuis le début de l’année. Et cette dynamique, qui s’explique par le resserrement monétaire déjà réalisé depuis un an et demi, devrait se poursuivre jusqu’à la fin de l’année.

  • Au total, les dernières données devraient pousser la BCE à être prudente. D’un côté, l’évolution de l’inflation reste en ligne avec les prévisions de la BCE de septembre, qui ne prévoient un retour vers les 2% qu’à la toute fin 2025. Cela devrait empêcher la BCE d’être à l’aise sur l’inflation. D’un autre côté, la dynamique de croissance est plus faible que ne l’anticipait la BCE en septembre, les conditions financières sont plus dures et la transmission de la politique monétaire bien visible via les banques. Dans ce contexte, nous pensons que la BCE devrait laisser ses taux directeurs inchangés après 10 hausses consécutives (le taux de dépôt à 4%) sans pour autant dire qu’elle en a fini avec les hausses de taux et elle devrait insister sur le besoin de maintenir des taux élevés longtemps. Avec des taux sur un plateau, le débat devrait s’orienter vers la réduction de la liquidité (via la vente d’obligations détenues, la fin des réinvestissements dans le PEPP ou la hausse du taux de réserves obligatoires des banques). Nous pensons qu’il est trop tôt et qu’il y a trop d’incertitudes pour que la BCE fasse des annonces précises à ce sujet dès cette semaine. Mais elle pourrait se donner des marges de manœuvre en retirant son engagement à ne pas réduire l’encours de dette dans le PEPP avant fin 2024.

  • En-dehors de la Zone Euro, les PMI sont assez décevants en dehors des Etats-Unis, qui continuent de surprendre positivement. Le PMI du Royaume-Uni stagne en zone de contraction (48,6pt) pour le troisième mois consécutif alors que le PMI japonais baisse sous la limite des 50 points pour la première fois depuis 2022. Au contraire, le PMI de S&P Global pour les Etats-Unis, qui était plus faible que les autres indicateurs conjoncturels cet été, rebondit à 51 points après être resté deux mois proches de la zone de stagnation à 50,2pt.

Fig.1  Zone Euro : le PMI baisse à un plus bas depuis 2020 en octobre

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Le PMI composite de la Zone Euro baisse de nouveau en octobre après son léger rebond de septembre. A 46,5pt, il est au plus bas depuis 2020 et consistant avec une baisse de 0,3% du PIB en rythme trimestriel.

Le détail de l’enquête suggère une poursuite de la baisse des pressions inflationnistes, mais au prix d’une forte baisse de la confiance des entreprises et d’une détérioration de leurs marges. Les entreprises deviennent plus prudentes face à la faiblesse de la demande. En effet, S&P indique que les entreprises de la zone euro réduisent leurs effectifs en octobre pour la première fois depuis début 2021 en octobre et qu’elles se concentrent sur la gestion de leurs stocks pour limiter les coûts. Du côté positif, les indicateurs de prix diminuent à un plus bas depuis plus de deux ans pour les biens et les services, même si les hausses de prix pour les services restent historiquement très élevées.

En terme sectoriel, la baisse du PMI est généralisée. Le PMI manufacturier s’approche de son point bas du début de l’été, à seulement 43pt. De son côté, le PMI services continue de baisser encore plus en zone de contraction à 47,8pt, soit un niveau qui n’a plus été connu depuis la fin des périodes de confinement début 2021.

C’est décevant alors que les données asiatiques indiquent un début de stabilisation du cycle industriel mondial et que la baisse de l’inflation est censée soutenir la demande de consommation.

Fig.2  Zone Euro : le PMI hors Allemagne et France passe en zone de contraction

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En termes géographique, le PMI français se reprend un peu depuis son point bas de septembre, mais reste sous le PMI de la Zone Euro à 45,3pt. Le PMI allemand annule son rebond de septembre, car le secteur des services retourne en zone de contraction alors que le PMI manufacturier se stabilise à peine à seulement 40,7pt. Mais la mauvaise surprise vient surtout du reste de la Zone Euro, où le PMI chute nettement en zone de contraction pour la première fois depuis 2022. Cela suggère que la résilience de l’économie italienne et espagnole est mise à l’épreuve fin 2023.

Fig.3  Zone Euro : la confiance des ménages est un peu plus résiliente que celle des entreprises

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La confiance des consommateurs se stabilise quelque peu en octobre mais, après deux fortes baisses cet été, elle est à un niveau assez limité (-17,8pt). Cela dit, elle reste bien au-dessus de ses niveaux de 2022, au cœur du choc énergétique, et au-dessus de son niveau durant les précédentes récessions (-20pt). La résilience de la confiance des consommateurs reste en ligne avec notre scénario de stagnation du PIB grâce à la consommation. En effet, nous pensons que les ménages bénéficient de la baisse de l’inflation, de la résilience du marché du travail et du taux d’épargne déjà élevé. Mais la faiblesse de la confiance des entreprises suggère une hausse des risques de récession dans la seconde partie de cette année.

Fig.4  Zone Euro : les conditions de crédit bancaire continuent de se durcir fortement

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L’enquête de la BCE auprès des banques confirme l’impact négatif important du resserrement monétaire sur la dynamique du crédit et donc de l’activité.

L’offre de crédit des banques aux ménages et aux entreprises diminue encore nettement, même si le rythme de resserrement des conditions de crédit se réduit graduellement depuis le début de l’année.

Mais la faiblesse du crédit vient principalement de la forte baisse de la demande de crédit, en particulier des entreprises. Depuis trois trimestres, la baisse de la demande de crédit des PME comme des grandes entreprises est aussi importante que lors de la crise financière et de la crise de dette de la Zone Euro. Et contrairement aux trimestres précédents, les banques espèrent un ralentissement seulement graduel de la baisse de la demande. La demande de crédit des ménages continue aussi de baisser fortement, même si cela est un peu moins marqué que fin 2022-début 2023.

Fig.5  Zone Euro : En plus des risques économiques et de crédit, les banques voient une hausse du coût et une baisse de montant de liquidité

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Les banques indiquent que la principale raison de la baisse de l’offre est la dégradation des risques macro-économiques et des perspectives de risque de crédit des clients. Mais la hausse du coût des dépôts et la baisse de liquidité jouent aussi un rôle non-négligeable. Nous pensons que cela devrait pousser la BCE à être prudente quant à la réduction de son bilan et de la liquidité interbancaire. Côté demande de crédits, les entreprises indiquent que la faiblesse s’explique principalement par la hausse des taux d’intérêts et la baisse de leurs dépenses d’investissement. Cela reflète donc l’impact attendu d’une politique monétaire restrictive, mais n’est pas un bon signe pour le cycle économique.

Fig.6  Zone Euro : les conditions de crédit sont très restrictives et devraient le rester en 2024

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Les données monétaires indiquent déjà un impact très négatif de la politique monétaire sur l’économie.

La masse monétaire totale (M3) baisse de 1,3% en glissement annuel en août, une baisse plus marquée qu’après la crise financière globale de la fin des années 2000. La masse monétaire la plus liquide (M1), celle qui est directement disponible pour soutenir les dépenses dans l’économie réelle, se contracte même de 10,4% sur un an. Elles sont repassées sous leur tendance pré-Covid par rapport au PIB.

La croissance des crédits aux entreprises et aux ménages ralentit fortement, à 0,6% et 1% en glissement annuel en août, et baisse même légèrement depuis le deuxième trimestre. Dès lors, la contribution de la croissance du crédit à la croissance économique chute à -4,6pt de PIB en août, un niveau plus négatif que lors de la crise de dette en Zone Euro au début des années 2010. Et les conditions de crédit bancaire suggèrent que l’impulsion du crédit restera très négative au moins jusqu’à mi-2024.

Cela soutient notre prévision de croissance encore très faible durant la première partie de l’année prochaine, contrairement aux scénarios du consensus et de la BCE qui anticipent une réaccélération rapide de la croissance dès début 2024. Cela implique aussi que la politique monétaire de la BCE est déjà très restrictive, d’où notre prévision que le taux directeur n’augmentera plus. Il pourrait même commencer baisser avant la mi-2024 selon nous.

Fig.7  Pays développés : PMI d’octobre

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En-dehors de la Zone Euro, les PMI suggèrent que la croissance mondiale est faible en dehors des Etats-Unis.

Le PMI du Royaume-Uni stagne en zone de contraction (48,6pt) depuis trois mois. C’est cohérent avec les signes de ralentissement du marché de l’emploi et de la confiance des entreprises depuis l’été. La bonne nouvelle est que les salaires et l’inflation dans les services commencent à refluer, même si elle reste bien trop élevée.

En-dehors de l’Europe, le PMI japonais baisse sous les 50pt pour la première fois depuis 2022 à cause du ralentissement des services, suggérant que le soutien lié à la réouverture décalée de l’économie nippone s’estompe.

L’exception reste les Etats-Unis, dont le PMI de S&P Global rebondit à 51 points après être resté deux mois proches de la zone de stagnation à 50,2pt. Cela reflète une amélioration en octobre de l’activité dans les services comme dans l’industriel, la PMI manufacturier revenant à 50pt pour la première fois depuis 6 mois. L’indicateur de S&P Global et ceux des Fed régionales convergent en octobre pour indiquer une croissance limitée mais toujours positive au début du T4 aux Etats-Unis.

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