Biodiversité : les gérants spécialisés appellent à une mobilisation

ISR02.06.2023
Fond animaux tortue oiseau singe et abeille

Entretien avec Alvaro Ruiz-Navajas, Gérant du fonds Tocqueville Biodiversity ISR

La biodiversité est encore un thème assez nouveau pour la finance, quels sont les grands enjeux ?

Il existe une grande différence entre la problématique de la biodiversité et celle du climat : la première est beaucoup plus locale que la seconde. Les émissions de carbone en Chine par exemple ont un impact sur l’ensemble de la planète. En revanche, les conséquences de la destruction de la biodiversité sont souvent locales, elles sont circonscrites à un pays voire à une région.

Mais il est important de ne pas opposer les deux sujets : le changement climatique et la préservation de la biodiversité. L’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) a démontré dans le cadre de ses travaux que le changement climatique faisait partie des cinq principaux facteurs ayant un impact négatif sur la biodiversité. Il ne faut pas arbitrer entre ces deux objectifs, ils vont de pair.

N’est-il pas possible de concevoir un produit d’investissement entièrement tourné vers la problématique de la biodiversité ?

Nous sommes au début du parcours pour comprendre la biodiversité en tant qu’investisseur. Cette thématique est en retard de 15 à 20 ans par rapport au climat. Nous sommes encore en train de nous demander quelles actions pertinentes menées. C’est difficile pour les sociétés de revoir leur business model ou de faire des propositions nouvelles si, par ailleurs, nous ne sommes pas en mesure de calculer la contribution de la biodiversité à la croissance par exemple. Si une société peut réduire son impact par rapport au changement climatique, elle sait qu’elle doit réduire ses émissions de carbone. Mais pour la biodiversité, les actions à mener sont moins intuitives. Il faut expliquer, faire preuve de pédagogie. De même, aucun expert n’est d’accord sur le montant des services offerts par la nature. Comment proposer alors des solutions ?

Appliquez-vous une méthodologie à l’ensemble des portefeuilles ou à quelques secteurs clefs ?

En ce qui nous concerne notre premier chantier a été d’utiliser la base de données Encore[1] qui analyse l’impact de chaque secteur ou sous-secteur sur la biodiversité et à partir de là nous avons choisi quelques secteurs ou sous-secteurs éligibles à notre univers d’investissement. Certains secteurs ne sont pas pertinents pour la biodiversité comme les logiciels ou la communication, d’autres sont fondamentalement négatifs pour la biodiversité comme l’extraction minière ou pétrolière. Notre univers d’investissement est de ce fait relativement restreint, parmi celui-ci figure l’économie circulaire, les déchets, le recyclage ou le traitement de l’eau ou encore l’agroalimentaire. Dans ce dernier secteur, il nous a semblé important dès le lancement de notre stratégie de développer une politique d’engagement. Ces sociétés peuvent conduire des initiatives intéressantes comme l’agriculture régénératrice, mais mènent-elles en parallèle suffisamment d’actions en matière de réduction des emballages ou pour contrôler leurs fournisseurs tout au long de la chaîne de valeur de leurs activités ? L’objectif de notre fonds biodiversité est de limiter l’impact de l’activité humaine sur cette dernière. Il est impossible pour l’instant de prendre en compte l’impact positif, dès que cela sera possible, lorsque des solutions émergeront dans l’univers des actifs cotés, nous réorienterons notre process d’investissement. Ce fonds a été lancé avec l’idée de faire évoluer notre stratégie d’investissement au fur et à mesure que la thématique gagnera en maturité.

Vous évoquiez précédemment le biais des fonds en faveur des petites et moyennes capitalisations, ces fonds possèdent-ils également des biais pays ?

Notre fonds est concentré sur les entreprises dont la capitalisation est comprise entre 10 et 50 milliards d’euros et il est investi dans l’ensemble des marchés mondiaux. Actuellement, la répartition géographique est équilibrée entre les Etats-Unis et l’Europe, nous sommes aussi investis de façon plus marginale en Asie. Cependant, nous ne possédons aucune exposition en Amérique Latine, malgré toute son importance pour la biodiversité. Il est difficile de trouver des sociétés qui publient des données sur le sujet et constituent un bon cas d’investissement.

Les entreprises possèdent souvent une approche à court terme. Elles se projettent trimestre par trimestre à chaque publication de résultats, mais peu finalement sur le long terme, en particulier en dehors de l’Europe.

Est-il nécessaire de lancer un fonds sur cette thématique, celle-ci ne peut-elle être intégrée dans les fonds ESG ?

Chaque fonds doit se donner un objectif. Pour nous, il semble important de ne pas mélanger les stratégies afin de pouvoir proposer aux investisseurs des stratégies complémentaires. L’investisseur devant choisir lui-même quel est l’équilibre optimal entre les stratégies. Nous nous intéressons aussi à des fonds investis sur la thématique du capital naturel et qui mènent des actions intéressantes en faveur de la biodiversité.


[1][1] Exploring Natural Capital Opportunities, Risksand Exposure, un outil qui aide à déterminer l’impact des activités économiques sur la nature. Il a été développé par le Natural Capital Finance Alliance en partenariat avec le Centre mondial de surveillance pour la conservation de la nature (UNEP-WCMC, agence des Nations Unies).

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